lucperino.com

Choisir son catastrophisme

humeur du 12/04/2023

Les bouleversements écologiques qui nous sont rabâchés sont assurément le résultat de l’extraordinaire développement culturel qui caractérise notre espèce. Nous avons imposé aux autres espèces des changements environnementaux d’une ampleur et surtout d’une rapidité sans précédent : un centième de seconde à l’échelle de l’évolution biologique.

Ampleur et rapidité qui ne changeront pas la règle immuable de l’évolution : nombre d’espèces s’adapteront à ces nouvelles pressions environnementales et d’autres disparaîtront. Les espèces vivantes actuelles représentent moins d’un millième de celles qui ont existé. 

Pour une espèce, deux atouts sont importants pour survivre à un changement aussi brutal, d’une part un cycle de reproduction court, d’autre part une aptitude à modifier l’environnement à son avantage. Notre espèce ne possède que le second atout ; hélas, chaque plan de protection environnementale se heurte à nos impératifs biologiques et économiques de croître et de prospérer.

Comme tous les biologistes, je ne suis évidemment pas catastrophiste et je n’ai aucune inquiétude pour la vie en général. Pour l’espèce humaine, le catastrophisme qui me gagne n’est pas vraiment biologique. La culture qui avait permis notre adaptation semble désormais sélectionner de nombreux traits d’inadaptation.

En plus des religions dont les dogmes fomentent des guerres, on voit prospérer des milliers de sectes et des millions de complotistes dont la base culturelle absconse n’offre aucun espoir d’adaptation. 80% des citoyens du monde croient en un Dieu tout puissant qu’ils infiltrent dans le cerveau de leurs enfants dont certains sont prêts à mourir pour lui. Le monde compterait jusqu’à 40% de créationnistes cognitivement inaptes à modifier leur environnement. Les populismes basés sur le mensonge, l’immobilisme et l’irréalisme voient leur électorat grossir au-delà de leurs espérances. L’information et l’éducation semblent devoir passer plus souvent entre les mains de nouveaux Trump, Le Pen ou Bolsonaro que de nouveaux Lucrèce, Galilée ou Voltaire.

Notre planète abrite 12000 ogives nucléaires dont la moitié sont aux mains d’héritiers incultes ou de tyrans qui manipulent les réseaux sociaux où s’échangent des inepties et des photos de chats.

Quant aux démocraties, non seulement elles voient s’effondrer leur démographie, mais trop obnubilées par le vote et la survie de leurs vieillards infertiles, elles n’arrivent plus à évaluer les nouvelles infécondités de leurs enfants devenus obèses, illettrés ou dépressifs.

Enfin, 25% de la population mondiale souffre d’un trouble mental, et le commerce des drogues licites et illicites qui aggravent ces troubles est en augmentation fulgurante.

Bref, le réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiversité, l’acidification des océans ou les polluants organiques persistants présentés comme des menaces sur notre espèce ont peu de poids en regard de l’inadaptation qu’elle-même sélectionne.

Ne nous trompons pas de catastrophisme.  

Bibliographie

Botero CA, Gardner B, Kirby KR, Bulbulia J, Gavin MC, Gray RD
The ecology of religious beliefs
Proc Natl Acad Sci U S A. 2014;111(47):16784-16789
DOI : 10.1073/pnas.1408701111

Boyd R, Richersen P
Culture and the evolutionnary process
The university of Chicago press, 1985

COVID-19 Mental Disorders Collaborators
Global prevalence and burden of depressive and anxiety disorders in 204 countries and territories in 2020 due to the COVID-19 pandemic
Lancet. 2021 Nov 6;398(10312):1700-1712
DOI : 10.1016/S0140-6736(21)02143-7

Gould Stephen Jay
Et dieu dit : "que Darwin soit !"
Seuil, 2000

Wang PS, Aguilar-Gaxiola S, Alonso J, et al
Use of mental health services for anxiety, mood, and substance disorders in 17 countries in the WHO world mental health surveys
Lancet. 2007;370(9590):841-850
DOI : 10.1016/S0140-6736(07)61414-7

Wittchen HU, Jacobi F, Rehm J, Gustavsson A, Svensson M, Jönsson B, Olesen J, Allgulander C, Alonso J, Faravelli C, Fratiglioni L, Jennum P, Lieb R, Maercker A, van Os J, Preisig M, Salvador-Carulla L, Simon R, Steinhaus
The size and burden of mental disorders and other disorders of the brain in Europe 2010
Eur Neuropsychopharmacol. 2011 Sep;21(9):655-79
DOI : 10.1016/j.euroneuro.2011.07.018

Lire les chroniques hebdomadaires de LP

Vous aimerez aussi...

Bel exemple d'adaptation à la plongée en apnée - La rate hors-norme du peuple Bajau leur permet de plonger à 70 m de profondeur et de rester [...]

La biologie évolutionniste peut nous aider à relever de grands défis - Les différences entre espèces dans leur capacité à s’adapter aux changements environnementaux [...]

Microchimérisme fœtal - La présence de cellules fœtales a été associée à des effets positifs autant que négatifs sur [...]

Évolution récente de la morphologie de l'homme. - Microévolution de la morphologie humaine et son impact médico-social. [...]

Le gène de l'homme moderne - Pour savoir ce qui nous rend différents de nos plus proches parents les Néandertaliens et les [...]

Vous aimerez aussi ces humeurs...

Nature de la mort - Les épidémies d’autrefois simplifiaient l’épidémiologie de la mort, ceux qui en avaient [...]

Ne plus déclencher la venue au monde - Dans la série des informations alarmistes sur les médicaments, le dernier épisode est celui du [...]

Irrémédiable immunosénescence - Certains d’entre vous l’ont remarqué, lorsque les années s’accumulent, l’aspect de la [...]

Complexité de l'anthropopharmacologie - Régulièrement, différents indices de classement des pays sont publiés dans de grands [...]

Le sein entre deux feux - Chaque année, au mois d’octobre, le cancer du sein est remis à l’honneur par les [...]

La phrase biomédicale aléatoire

Ce qui pose problème aujourd'hui, c'est qu'à force d'essayer de se rapprocher de la science biomédicale, pour en partager la légitimité, le prestige et les ressources, la santé publique a fini par renoncer à défendre ses valeurs, en préférant les dissimuler sous les oripeaux d'un objectivisme scientiste.
Ce renoncement porte préjudice à la prévention...
― Patrick Peretti-Watel & Jean-Paul Moatti

Haut de page