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Scénario de scandale

humeur du 11/12/2017

Les études s’accumulent et les résultats convergent au sujet des risques liés à l’utilisation prolongée des médicaments antiacides. Le doute n’est plus permis.
Ces médicaments de la classe dite des IPP (inhibiteurs de la pompe à proton) sont utilisés pour traiter l’acidité gastrique, les reflux gastro-œsophagiens et les ulcères de l’estomac. Normalement, leur utilisation doit être ponctuelle, car ils sont efficaces en quelques jours. Mais la prescription et l’utilisation médicamenteuses ont évolué vers des temps de plus en plus longs.

La création du concept de « maladie chronique » ayant été la plus rentable de toutes les stratégies mercatiques, les maladies aiguës ont quasiment disparu du paysage sanitaire. Une douleur abdominale fugace, un reflux, une analyse douteuse, une image suspecte, un évanouissement, un moment de déprime ou de fatigue suffisent à transformer tout citoyen en un malade chronique. Et accepter une maladie chronique, c’est accepter logiquement un traitement continu. Vendre une maladie aiguë n’est pas plus rentable que de vendre une imprimante, le but est de vendre des cartouches d’encre.
Hélas, les traitements chroniques peuvent avoir des désagréments supérieurs à ceux de la maladie aiguë et très souvent supérieurs à ceux de la pseudo-maladie chronique. C’est le cas des IPP dont l’utilisation abusive fait proliférer dans l’intestin la bactérie Clostridium difficile, responsable de graves diarrhées et de colites parfois mortelles.

Ce message d’alerte n’a rien de très original : il s’ajoute aux centaines d’alertes sur les médicaments à rapport bénéfices/risques négatif. Sauf que les ulcères  sont également traités avec des antibiotiques, depuis qu’Helicobacter pylori, cette bactérie présente dans tous les estomacs des humains depuis plus de cent-mille ans, en a été décrété responsable (en plus de l’acidité).
Evidemment, Helicobacter est devenu résistant aux antibiotiques, et l’on voit déjà des prescriptions de 3 ou 4 antibiotiques pour venir à bout d’ulcères qui guérissaient auparavant avec dix jours d’antiacides. Ce n’est pas fini : cette gabegie d’antibiotiques finit par sélectionner les bactéries les plus résistantes, et devinez quelle est la plus résistante de toutes : Clostridium difficile.
Il est donc possible de dénoncer un scandale sanitaire avant qu’il ne survienne, car son scenario est déjà écrit dans le grand livre des pseudo-maladies chroniques.

Alors, pour ceux, très nombreux, dont l’estomac a encore le choix entre maladie chronique et maladie aiguë, je conseille vivement de choisir la seconde. Ensuite, pour éviter le pire, il faudra trouver un médecin qui ne stresse pas devant l’acidité gastrique et qui connaisse bien notre vieux compagnon Helicobacter.

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Médecine évolutionniste (ou darwinienne)

Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique

Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon. Voir ICI

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La phrase biomédicale aléatoire

A l'aide des sciences expérimentales actives, l'homme devient un inventeur de phénomènes, un véritable contremaître de la création; et l'on ne saurait, sous ce rapport, assigner de limites à la puissance qu'il peut acquérir sur la nature, par les progrès futurs des sciences expérimentales. Maintenant reste la question de savoir si la médecine doit demeurer une science d'observation ou devenir une science expérimentale. Sans doute la médecine doit commencer par être une simple observation clinique. Ensuite, comme l'organisme forme par lui-même une unité harmonique, un petit monde (microcosme) contenu dans le grand monde (macrocosme), on a pu soutenir que la vie était indivisible et qu'on devait se borner à observer les phénomènes que nous offrent dans leur ensemble les organismes vivants sains et malades, et se contenter de raisonner sur les faits observés. Mais si l'on admet qu'il faille ainsi se limiter, et si l'on pose en principe que la médecine n'est qu'une science passive d'observation, le médecin ne devra pas plus toucher au corps humain que l'astronome ne touche aux planètes. Dès lors l'anatomie normale ou pathologique, les vivisections, appliquées à la physiologie, à la pathologie et à la thérapeutique, tout cela est complètement inutile. La médecine ainsi conçue ne peut conduire qu'à l'expectation et à des prescriptions hygiéniques plus ou moins utiles; mais c'est la négation d'une médecine active, c'est-à-dire d'une thérapeutique scientifique et réelle.
― Claude Bernard

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