lucperino.com

EBM et maladies chroniques

humeur du 26/02/2019

« EBM » est le sigle de « evidence based medicine » ou « médecine basée sur les preuves ». Ce concept promu dans les années 1960 recèle une insulte envers nos ancêtres médecins. Tous les diagnostics étaient déjà basés sur de solides preuves depuis la méthode anatomoclinique qui a fondé la médecine moderne dans les années 1800. La majorité des médicaments efficaces (insuline, antibiotiques, corticoïdes, aspirine, vitamines, vaccins, héparine, morphine, diurétiques, neuroleptiques, etc.) ont été découverts avant l’EBM.
S’arroger ainsi une rigueur qui existait depuis longtemps est une impudence qui peut cependant s’expliquer. Auparavant, la médecine gérait des pathologies monofactorielles dont les symptômes étaient vécus (infections, traumatismes, carences, épilepsie, etc.). Puis, au cours du XX° siècle, elle s’est intéressée à des maladies plurifactorielles : tumorales, neurodégénératives, immunologiques, psychiatriques, métaboliques et cardiovasculaires. Toutes caractérisées par une évolution lente et des symptômes erratiques rendant la preuve empirique impossible. Comment prouver que détruire quelques cellules cancéreuses, faire baisser la pression artérielle ou le cholestérol augmente la quantité-qualité de vie ?
Pour convaincre les médecins et les patients, il fallait remplacer la preuve individuelle vécue par une preuve populationnelle et probabiliste. L’idée était bonne, l’outil statistique valide et le paradigme séduisant. C’est pourquoi, depuis un demi-siècle, l’EBM et ces maladies dites « chroniques » monopolisent la pensée médicale.

Il est temps d’oser quelques raisonnables critiques.
Définir une maladie aux symptômes concrets était déjà difficile, c’est désormais impossible puisqu’une majorité de ces « maladies chroniques » ne sont jamais vécues (hypertension, hyperglycémie, cancer dépisté, etc.).
Les gains de quantité de vie sont négligeables et souvent non évaluables (le traitement d’une hypercholestérolémie par statine ne peut rivaliser avec celui du scorbut par la vitamine C ou d’une septicémie par la pénicilline)
Les gains de qualité de vie sont nuls ou négatifs (l’annonce d’un cancer non vécu est une perte, alors que la suppression des délires par un neuroleptique était un gain pour le patient et sa parentèle)
Les statistiques et publications ont accumulé des biais et tricheries si effarants que toute la pratique médicale en devient suspecte.
Considérons encore plus pragmatiquement l’échec global sur ces « maladies chroniques ». Si la médecine peut être fière d’avoir supprimé la variole, le pied-bot et le bégaiement, elle ne le peut pas pour des maladies dont la prévalence augmente (Alzheimer, myopie, obésité, cancer ou dépression). Même si certains facteurs sont sociétaux, cela reste un échec pour ceux qui en revendiquent la charge.
Enfin, reprocher le diagnostic trop tardif de maladies chroniques est antinomique, voire ubuesque. Après avoir insulté les médecins du passé, l’EBM récidive avec ceux d’aujourd’hui.

Bibliographie

Al-Shahi R, Vousden C, Warlow C
Bias from requiring explicit consent from all participants in observational research : prospective, population based study
BMJ. 2005 Oct 22;331(7522):942
DOI : 10.1136/bmj.38624.397569.68

Barbour V, Burch D, Godlee F, Heneghan C, Lehman R, Perera R, Ross JS, Schroter S
Characterisation of trials where marketing purposes have been influential in study design: a descriptive study
Trials,2016, 17:31
DOI : 10.1186/s13063-015-1107-1

Barnett K, Mercer SW, Norbury M, Watt G, Wyke S, Guthrie B
Epidemiology of multimorbidity and implications for health care, research, and medical education: a cross-sectional study
Lancet Volume 380, No. 9836, p37–43, 7 July 2012
DOI : 10.1016/S0140-6736(12)60240-2

Begg CB, Berlin JA
Publication Bias: A Problem in Interpreting Medical Data
Journal of the Royal Statistical Society. Series A (Statistics in Society) Vol. 151, No. 3 (1988), pp. 419-463

Bertrand Kiefer
Le nouveau monde de la recherche clinique
Rev Med Suisse 2016; volume 12. 1400-1400

Boutron I, Dutton S, Ravaud P, Altman DG
Reporting and Interpretation of Randomized Controlled Trials With Statistically Nonsignificant Results for Primary Outcomes
JAMA. 2010;303(20):2058-2064
DOI : 10.1001/jama.2010.651.

Brody H, Light DW
The Inverse Benefit Law: How Drug Marketing Undermines Patient
Am J Public Health. 2011 March; 101(3): 399–404
DOI : 10.2105/AJPH.2010.199844

Bruckner T, Ellis B
Clinical Trial Transparency:A Key to Better and Safer Medicines
https://media.wix.com/ugd/01f35d_0f2955eb88e34c02b82d886c528efeb4.pdf

Carroll BJ
Corruption of clinical trials reports : a proposal
http://hcrenewal.blogspot.com/2016/06/corruption-of-clinical-trials-reports.html

Carter SM, Rogers W, Heath I, Degeling C, Doust J, Barratt A
The challenge of overdiagnosis begins with its definition
BMJ. 2015 Mar 4;350:h869
DOI : 10.1136/bmj.h869

Chan AW, Altman DG
Epidemiology and reporting of randomised trials published in PubMed journals
Lancet. 2005 Mar 26-Apr 1;365(9465):1159-62

Dickersin K
The existence of publication bias and risk factors for its occurrence
JAMA 1990;263:1385-1389

Dumas-Mallet E, Smith A, Boraud T, Gonon F
Poor replication validity of biomedical association studies reported by newspapers
PLoS One. 2017 Feb 21;12(2):e0172650
DOI : 10.1371/journal.pone.0172650

Easterbrook PJ, Berlin JA, Gopalan R, Matthews DR
Publication bias in clinical research
Lancet 1991;337:867-872

Feinstein AR, Sosin DM, Wells CK
The Will Rogers phenomenon. Stage migration and new diagnostic techniques as a source of misleading statistics for survival in cancer
N Engl J Med. 1985 Jun 20;312(25):1604-8

Fergusson D, Glass KC, Waring D, Shapiro S
Turning a blind eye: the success of blinding reported in a random sample of randomised, placebo controlled trials
Br Med J., 2004; 2004 ; 328 : 432-434

Gotzsche P
Believability of relative risks and odds ratio in abstracts : cross sectionnal study
BMJ ; 2006 ; 333 ; p 211-214
DOI : 10.1136/bmj.38895.410451.79

Heneghan C, Mahtani KR, Goldacre B, Godlee F, Macdonald H, Jarvies D
Evidence based medicine manifesto for better healthcare
BMJ. 2017 Jun 20;357:j2973
DOI : 10.1136/bmj.j2973

Horton NJ, Switzer SS
Statistical methods in the Journal
N Engl J Med. 2005 Nov 3;353(18):1977-9

Ioannidis JPA
The Proposal to Lower P Value Thresholds to .005
JAMA. 2018;319(14):1429-1430
DOI : 10.1001/jama.2018.1536

Ioannidis JPA
Evidence-based medicine has been hijacked: a report to David Sackett
J Clin Epidemiol. 2016 May;73:82-6
DOI : 10.1016/j.jclinepi.2016.02.012

Ioannidis JPA
Why Most Clinical Research Is Not Useful
PLoS Med. 2016 Jun 21;13(6):e1002049
DOI : 10.1371/journal.pmed.1002049

Mcgauran N, Wieseler B, Kreis J, Schüler YB, Kölsch H, Kaiser T
Reporting bias in medical research - a narrative review
Trials. 2010 Apr 13;11:37
DOI : 10.1186/1745-6215-11-37

Michael Cook
Bioethicist alleges “publication bias” at NEJM
https://www.bioedge.org/bioethics/bioethicist-alleges-publication-bias-at-nejm/11965

Montori VM et coll
Randomized trials stopped early for benefit. A systematic review
JAMA 2005 ; 294 : 2203-2209

Oreskes Naomi et Conway Erik M
Les marchands de doute
Le Pommier, 2012

Perino L
Evidence based medicine : critique raisonnée d'un monopole - Troisième partie, les hors-sujet de l'EBM
Médecine, Volume 10, N° 1, 28-33, janvier 2014
DOI : 10.1684/med.2014.1052

Perino L
Evidence based medicine : critique raisonnée d'un monopole - Deuxième partie
Médecine, Volume 9, N° 10, 459-62, décembre 2013
DOI : 10.1684/med.2013.1040

Perino L
Evidence Based Medicine : critique raisonnée d'un monopole Première partie : aux sources de l'EBM
Médecine. Volume 9, Numéro 9, 416-9, Novembre 2013
DOI : 10.1684/med.2013.1028

Perlis RH, Ostacher M, Fava M, Nierenberg AA, Sachs GS, Rosenbaum JF
Assuring that double-blind is blind
Am J Psychiatry. 2010 Mar;167(3):250-2
DOI : 10.1176/appi.ajp.2009.09060820

Sackett DL, Rosenberg WMC, Gray JAM, Haynes RB, Richardson WS
Evidence based medicine: what it is and what it isn't
BMJ. 1996;312:71

Smaldino PE, Mcelreath R
The natural selection of bad science
RSOS, September 2016
DOI : 10.1098/rsos.160384

 

RARE

Site médical sans publicité
et sans conflit d'intérêts.

 

Vous aimerez aussi ces humeurs...

Cibler le syndrome de sevrage - Fut un temps où le marché consistait à fournir aux clients ce dont ils avaient besoin pour [...]

Sexisme pittoresque de la médecine - Les médecins de l’ancienne Egypte considéraient l’hystérie féminine et les sorcelleries [...]

Éthique décalée de la FDA - En 2007, la société « 23andMe » commercialisait un test salivaire permettant [...]

Choisir entre la mère et l'enfant - Les femmes paient un lourd tribut à l’évolution : la bipédie et le gros volume cérébral [...]

Le retour du pathognomonique - Quand nous étions étudiants ou jeunes médecins, les signes pathognomoniques étaient un [...]

La phrase biomédicale aléatoire

Le "nerveux" est un merveilleux marchepied conceptuel. C'est un mot tampon d'une très grande utilité sanitaire, créé par des médecins précurseurs, et adopté à l'unanimité par les patients. Le "nerveux" est un sas de communication dans la relation médecin malade, une escale sur l'itinéraire qui passe du soma au psyché. Le "nerveux" est ce qui reste lorsque la main du médecin revient bredouille, l'image du radiologue quelconque ou l'analyse du biologiste insignifiante. Le "nerveux" signe la bénignité et réduit l'angoisse. Le symptôme nerveux, clown ridicule ou pantin fanfaron qui annule des siècles de conquêtes médicales, peut aussi être le point de départ, vers une nouvelle aventure de la communication, car il peut s'ennoblir en psychique ou se sublimer en existentiel. S'il est dérisoire en tant qu'impasse diagnostique, il devient prodigieux en tant que passerelle métaphysique. En se débarrassant de sa pelure organique, le symptôme nerveux quitte le monde charnel, pour conquérir le monde mystique ou règne un inconscient supposé, maître des vices et des vertus.
― Luc Perino

Autres fiches patients

Bronchiolite du nourrisson - I/ Les mots et les faits Nourrisson: enfant âgé de moins de 30 mois Bronchiolite: virose [...]

Hypertension artérielle - I / Les mots et les faits Systole : moment où le cœur se [...]

Angine aiguë - I/ Les mots et les faits Pharynx : carrefour des voies aériennes (allant des fosses [...]

Adénome de la prostate - I/ Les mots et les faits    Urètre : canal d’évacuation de l’urine (entre la vessie et [...]

Cardiologie et psychisme - Composantes psychosomatiques des maladies cardiovasculaires I/ Les mots et les faits Maladies [...]

Haut de page