lucperino.com

Ça fait beaucoup de monde

humeur du 24/08/2020

Les chiffres sont le meilleur levier des mensonges et de la manipulation. Politiques ou scientifiques, chacun les arrange à la sauce de ses convictions et de ses idéologies. Il serait prétentieux de prétendre que l’on n’a pas usé soi-même de ce stratagème éculé. En matière de santé, la trituration des chiffres m’effraie parfois et m’amuse souvent.
Benjamin Disraeli classait les mensonges en trois catégories : les petits, les gros et les statistiques.
Depuis que le savoir des cliniciens a été remplacé par des statistiques mercantiles, le troisième mensonge de Disraeli domine le monde de la santé. Mille vies ne suffiraient pas à dénoncer les biais qui ont conduit à la médicalisation de la société. Par indolence, je me contenterai de méga chiffres et de méta statistique.

Par exemple, en Occident, les publications déclarent un taux de 25% de malades mentaux, en précisant que ce chiffre est sous-estimé. Les algologues affirment que 30% de nos concitoyens souffrent d’une douleur chronique. Depuis que les personnes âgées ne sont plus que des citoyens polypathologiques, la pyramide des âges nous donne une idée de la monstrueuse prévalence de toutes les maladies. Les nouvelles normes en matière de tension, sucres ou graisses conduisent les populations à 100% de risque de maladie cardiovasculaire. Sans oublier les dépistages et autres check-up qui sont l’oriflamme de cette santé kafkaïenne. Chaque nouveau test ou dépistage, en avançant le temps zéro des maladies potentielles, conduit à de véritables épidémies de diagnostics, tant en infectiologie ou cardiologie qu’en cancérologie. 

Sur l’autre versant de la crête du soin, se trouvent les soignants qui représentent déjà 15 à 20% de la population active, selon que l’on comptabilise ou pas, ceux qui sont chargés de les administrer. Ces professionnels de santé se plaignent de n’être pas assez nombreux. Plainte justifiée depuis que les fatigues, céphalées et bobos arrivent tous aux urgences et que les dépistages démultiplient l’angoisse et l’iatrogénie. En France, les 4 millions d’employés du secteur médico-social ne suffisent plus pour porter le fardeau technique et compassionnel qu’il faut pour entourer les 20 à 40 millions de malades dont le flot grossit à chaque nouveau test. D’autant plus vrai que les exigences des soignés se multiplient au rythme des revendications syndicales des soignants. Ajoutons que les soignants sont les plus réguliers des soignés puisqu’ils ont en moyenne 10 jours d’arrêt-maladie par an contre 8 pour les autres.

Un expert de la modélisation dirait que nos démocraties cacochymes risquent l’effondrement sous la foule des soignants et de leurs affligés réels ou fictionnels. Seul un utopiste peut encore espérer que l’on saura s’extraire du bourbier de la démagogie sanitaire savamment manipulée par le marché.

Bibliographie

Bhui K, Dinos S
Preventive psychiatry: a paradigm to improve population mental health and well-being
Br J Psychiatry. 2011;198(6):417-419
DOI : 10.1192/bjp.bp.110.091181

Fédération Hospitalière de France
30% des actes médicaux sont inutiles
http://www.hopital.fr/Hopitaux/Espace-medecin-liberal/Actualites/30-des-actes-medicaux-sont-inutiles

Getz L, Sigurdsson JA, Hetlevik I, Kirkengen AL, Romundstad S, Holmen J
Estimating the high risk group for cardiovascular disease in the Norwegian HUNT 2 population according to the 2003 European guidelines: modelling study
BMJ 2005;331:551
DOI : 10.1136/bmj.38555.648623.8F

MGEN
Médecine prédictive : 75% des Français prêts à effectuer des tests génétiques
Communiqué de presse du 25 mars 2015

Ministère de la santé
Arrêts maladie dans le secteur hospitalier : les conditions de travail expliquent les écarts entre professions
https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/er_1038.pdf

Ministère des solidarités et de la santé
Personnels non médicaux salariés
https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/6-15.pdf

SFETD, (Alain Serrie)
Les centres d'évaluation et de traitement de la douleur en France
Bulletin de la Fondation APICIL, N°3, sept-oct 2009, p 1

Singh SP
Shooting the messenger : the science and politics of ethnicity research
Br J Psychiatry. 2009;195(1):1-2
DOI : 10.1192/bjp.bp.108.058685

Summerfield D, Veale D
Proposals for massive expansion of psychological therapies would be counterproductive across societ
Br J Psychiatry. 2008;192(5):326-330
DOI : 10.1192/bjp.bp.107.046961

 

RARE

Site médical sans publicité
et sans conflit d'intérêts.

 

La phrase biomédicale aléatoire

Les médicaments, utiles ou non, sont devenus le lien le plus formel entre le médecin et ses patients, ainsi qu’entre le médecin et le personnel médical. Discuter des traitements, évite de se poser des questions plus complexes.
― Luc Perino

Vous aimerez aussi ces humeurs...

Prolactine, testostérone et viagra - Le saviez-vous ? Tout homme, quel que soit son âge, mis en présence d’un [...]

Sclérose en plaques et infections - La sclérose en plaques (SEP) est la plus grave des maladies auto-immunes, la démyélinisation [...]

L'âge n'est pas un facteur de risque - Comme leur nom l’indique, les « facteurs de risque » sont les facteurs qui augmentent la [...]

Les césariennes, l’âne et le lion - Le nombre de césariennes s’accroît de façon vertigineuse dans le monde. Cette [...]

Petite leçon de décryptage d’un article médical - Les sciences de la santé étant les plus faciles à corrompre, voici dix points devant [...]

Anthropologie générale / Sociologie

• Adolescence : importance clinique des phases de vie • Altitude : adaptation [...]

Haut de page