lucperino.com

Grand pas dans l’histoire des médicaments

humeur du 30/10/2023

Lorsque l’on ignorait la cause des maladies, on essayait d’en soigner les symptômes. La quinine faisait baisser la fièvre et la belladone calmait les maux de ventre. Nul ne savait ni pourquoi ni comment.

Le premier médicament conçu après avoir compris une maladie a été l’insuline en 1921. Puis vinrent les antibiotiques, hormones, vitamines, etc. Tous ces médicaments cumulaient une base théorique solide avec des bénéfices cliniques incontestables.

Puis, avec la compréhension des mécanismes moléculaires intimes de certaines maladies, on a conçu des médicaments à l’efficacité théoriquement prévisible. Le premier exemple est celui des bétabloquants en 1970 pour soigner l’angor, mais ses effets inattendus, bénéfiques sur l’hypertension artérielle et néfastes sur l’insuffisance cardiaque, on fait l’objet de longs débats cliniques. D’autres, comme la L-Dopa pour soigner le Parkinson et les anit-H2 pour soigner l’ulcère de l’estomac sont de beaux exemples de mariage réussi entre théorie et clinique.

Pour les maladies chroniques auxquelles s’intéresse actuellement la médecine (tumorales, neurodégénératives, auto-immunes, cardiovasculaires ou psychiatriques), les théories moléculaires sont multiples et souvent mal étayées, obligeant les fabricants à choisir la plus présentable pour proposer un médicament susceptible d’attirer l’attention des cliniciens. Mais comme le bénéfice clinique global est très difficile ou très long à mettre en évidence, on choisit des critères intermédiaires de preuve, également appelés critères de substitution. Par exemple, on montre qu’un médicament diminue le volume d’une tumeur, qu’il baisse la glycémie ou qu’il modifie l’humeur. Faute de preuves sur la durée de la vie ou de la maladie, ces critères de substitution sont généralement acceptés avec bienveillance par les médecins et vécus positivement par les patients.  Le plus souvent, ces critères intermédiaires font l’objet d’annonces médiatiques enthousiastes, ajoutant à leur vertu temporaire. Quant aux essais cliniques susceptibles de confirmer ou d’infirmer les bénéfices sur de longues durées, ils ne sont tout simplement jamais réalisés.

Un nouveau pas vient d’être franchi. La maladie d’Alzheimer s’accompagne de trois faits moléculaires : fibrilles neuronales, dépôt de corps beta-amyloïdes entre les neurones et présence excessive de protéine tau. Nul ne sait si ces trois faits sont cause ou conséquence de la dégénérescence des neurones. Cependant on a trouvé un anticorps monoclonal qui détruit les beta-amyloïdes. Bien que le fabricant lui-même constate l’absence d’efficacité clinique, ce produit vient d’être autorisé à la vente en raison de son action moléculaire.  

Ainsi, après des médicaments parfois efficaces sans explication, puis des médicaments efficaces basés sur des théories solides, la grande histoire des médicaments vient de franchir une nouvelle étape, celle des médicaments inefficaces basés sur des théories hasardeuses.

On n’arrête pas le progrès.

Bibliographie

CBIP
Critique des critères d’évaluation intermédiaires en oncologie
Folia Pharmacotherapeutica juillet 2022. 49(07) p. 1/6

Gyawali B, Rome BN, Kesselheim AS
Regulatory and clinical consequences of negative confirmatory trials of accelerated approval cancer drugs: retrospective observational study
BMJ. 2021 Sep 8;374:n1959
DOI : 10.1136/bmj.n1959

Montori VM et coll
Randomized trials stopped early for benefit. A systematic review
JAMA 2005 ; 294 : 2203-2209

Pascale Santi
Alzheimer : nouveau traitement, nouvelles mises en garde
Le Monde 18 janvier 2023

Prescrire rédaction
Essais post-AMM négatifs souvent négligés
La Revue Prescriren aouût 2013, tome 43 N0 478, p 625-626

Rédaction Prescrire
Aducanumab et maladie d'Alzheimer : l'EMA se prononce contre l'AMM
Revue Prescrire, mai 2022, t 42, N°463, p 341

Profil de nos 5000 abonnés

Par catégorie professionnelle
Médecins 27%
Professions de santé 33%
Sciences de la vie et de la terre 8%
Sciences humaines et sociales 12%
Autres sciences et techniques 4%
Administration, services et tertiaires 11%
Economie, commerce, industrie 1%
Médias et communication 3%
Art et artisanat 1%
Par tranches d'âge
Plus de 70 ans 14%
de 50 à 70 ans 53%
de 30 à 50 ans 29%
moins de 30 ans  4%
Par motivation
Patients 5%
Proche ou association de patients 3%
Thèse ou études en cours 4%
Intérêt professionnel 65%
Simple curiosité 23%

Vous aimerez aussi ces humeurs...

Empreinte carbone et médicale des animaux domestiques - Chaque être vivant génère une « empreinte » biologique en tant qu’acteur d’un [...]

Albumine mentale - L’hydropisie désignait autrefois une maladie caractérisée par une accumulation [...]

Les bons, les mauvais et les autres - Dans l’infini éditorial du Covid19 se trouvent de « bons » consensuels et de [...]

Devinettes et numéros discrets - Première devinette. Quelle est la maladie dont on parle tous les jours sur tous les médias, [...]

L'allégé fait grossir - Dans chaque pays existe une parfaite corrélation entre les chiffres de vente d’aliments [...]

Autres fiches patients

Lombalgies, sciatique et cruralgie - I / Les mots et les faits Vertèbres lombaires : elles sont au [...]

Maladie de Lyme ou borreliose de Lyme - Les mots et les faits Acariens : sous-classe d’arachnides de très petite taille Tiques : [...]

Lombalgie, sciatique et cruralgie - I / Les mots et les faits Vertèbres lombaires : elles sont au [...]

Diverticulite sigmoïdienne - I / Les mots et les faits Sigmoïde : partie du côlon [...]

Crise de goutte et acide urique - I/ Les mots et les faits Acide urique : constituant normal de l’organisme produit par la [...]

La phrase biomédicale aléatoire

La philosophie et la psychologie qui se sont développées autour du darwinisme sont un des seuls domaines où l'on peut discuter scientifiquement, à un certain niveau de généralité, de problèmes que les humanités et les sciences sociales ont tendance à rejeter comme trop naïfs ou trop kitsch : le bonheur, le désespoir, l'amour ou le sens de la vie. Ce n'est pas le moindre attrait de l'évolutionnisme que de les remettre au goût du jour.
― Olivier Morin

Haut de page